Une opération minutieusement préparée, mais…
Des mois qu’ils préparaient ce coup, des mois !
Déjouer les filatures, organiser les caches d’armes, les rendez-vous entre les différentes sections. La surveillance de la cible, tout noter, même le plus anodin, tout, absolument tout pour anticiper l’imprévisible. Anticiper, le maître-mot, dans les moindres détails. Alors on s’entraînait, alors on structurait autant que possible les réflexes, encore, encore, encore, jusqu’à épuisement. L’occasion serait ténue, éphémère au possible, aussi n’avaient-ils absolument pas le droit à l’erreur.
Le nombre de ses gardes du corps, leur nom, l’anniversaire de sa femme, où seraient les enfants au moment de l’attentat ? Il fallait tout prévoir. Des mois à se préparer pour commettre ce qui serait en temps normal un crime. Mais nous étions en guerre, la résistance se devait d’agir, quitte à se salir les mains. Et ceux qui allaient se les salir avaient à peine dépassé l’adolescence, rien que des gamins et des gamines. Mais leurs regards étaient déjà obtus, noirs, prêts à l’inconcevable : tuer.
Le jour-dit, la nasse était prête, les ouvriers n’étaient pas trop propres, les mains et les ongles crasseux comme il se doit. Le couple d’amoureux sans effusions trop marquées, le postier avec son vélo à chaque porte s’arrêtait bien, tout semblait normal. Jusqu’aux feuilles qui tombaient au sol.
La longue voiture noire tournerait à l’heure exacte au coin de la rue pour s’engager dans la ruelle, s’arrêterait bientôt devant la porte-cochère, Jean allait arriver à sa hauteur au moment où le SS sortirait de son hôtel particulier, l’arme était déjà engagée pour éviter tout bruit de culasse suspect, et il faudrait faire vite, viser la tempe, une fois, si possible avant de prendre la fuite sans courir, tirer une deuxième fois, les munitions de 22 long rifle n’étant pas très efficaces. Et il fallait tuer. À tout prix, sans se faire pincer. Et le temps de tirer une deuxième fois, c’étaient deux secondes de trop. Risque maximal. Il fallait que tout se passe bien, il fallait réussir la mission.
Arrivé à la porte, elle s’ouvrit dans le bon tempo, sa main se serra sur la crosse et il brandit l’arme, prêt à faire feu.
Mais il ne put tirer.
Berthe. C’était Berthe qui était au bras de l’officier SS. Berthe, sa petite amie qui l’avait plaqué deux semaines plus tôt !
Son état de sidération fut immédiatement bousculé par les gardes du corps qui l’amenèrent au sol dans un désordre absolu mais néanmoins efficace. Il fut mis KO immédiatement, pourtant les coups continuèrent à pleuvoir.
Ses camarades ne comprirent pas la scène, mais dès qu’ils virent les uniformes noirs s’agglutiner rageusement sur Jean, ils se retirèrent mine de rien de la rue, puis du quartier avant qu’il ne soit bouclé par la Gestapo. Les caches d’armes furent immédiatement vidées, les réseaux s’évanouirent dans la nature pour éviter toutes arrestations. Seul Jean fut arrêté. Mais l’occasion d’effacer ce proche d’Hitler s’était définitivement envolée. Il réussit, à la fin de la guerre à fuir en Amérique du Sud, et y mourut paisiblement à la tête d’un ranch de millier de bêtes. Jean fut torturé, mais son bourreau eut la main trop lourde et finit par le tuer sous les coups sans qu’il ne dénonce personne. Berthe, elle, à la Libération fut mise sur un charriot, rasée avec d’autres filles. Elle échappa aux exécutions sommaires, pas à la virulence de la foule. Elle fut une des toutes premières sympathisantes du Front national.
