Synesthète

Je sais que, depuis toujours, je vois les chiffres en couleur, certaines lettres aussi, parfois accompagnées de textures. C’est rigolo. Je ne l’ai que très rarement évoqué, non que ce soit honteux, juste le sentiment que c’est difficilement partageable comme expérience.

J’ai découvert dernièrement, à l’occasion d’un concert, un instrument singulier de la famille des trompettes*, dont j’ai oublié le nom, mais dont les sonorités de miel légèrement granulaires et blonds, m’ont sidéré de par leurs chaleurs et leurs douceurs. Comme ce whisky si doux et profond que j’apprécie particulièrement. Ici la tessiture d’une voix si proche de celle du saxophone, à la fois si claire et finement granuleuse, d’un jaune peut-être plus profond, et légèrement jazzy. Là une voix café, presque vanille. Ici des notes bleues de trompette. Certains chœurs me font penser à des prairies fleuries et piquetées du rouge des coquelicots, percée de jaune et de blanc ondulant sous une brise légère. Certains mouvements d’orchestre, au ressac des vagues translucides, allumées de soleil. Moi qui ai failli être sourd profond, je vois parfois les sons en couleurs, pas toujours, parfois, comme un amusant pied de nez de la vie, cette folle impertinente. Alors, ces derniers temps, photographier des concerts est devenu une réelle gourmandise. L’impression d’être un peintre des moments fugaces avec des touches de couleurs sonores. Un délice, vraiment un pur délice. Ce n’est pas systématique, mais lorsque ça arrive, c’est magique à ressentir. Il ne me reste alors plus qu’à y ordonner mes petites géométries personnelles.

*après enquête, il s’agit du bugle, de la famille des cuivres, plus exactement des saxhorns mis au point par Adolphe Sax au XIXe siècle