Un nerf de famille, à vif
Train de banlieue gris. Temps d’hiver gris. Humeur grise elle aussi. J’ai plus de deux heures de trajet à me fader à attendre comme un con dans ce foutu froid pour trois malheureuses stations à cause d’une saloperie de correspondance, sans compter le trajet à patte sous cette putain de flotte. Tout ça pour passer les fêtes chez ma mère. Alors j’ai eu l’autorisation pour sortir de ce foyer où ma mère m’a collé. Vilaine resucée de merde des 400 coups. Et on me demande de fournir des efforts, de recréer du lien, et je n’en ai foutrement pas envie. Mais alors pas du tout. Mais ai-je seulement le choix ? Alors je m’y colle. En traînant mes groles pourries sur un bitume rincé de flotte. Et enfin, j’arrive à destination, en retard, forcément. Je sonne. J’entends ma mère, ma grand-mère et ma sœur. La porte s’ouvre et je me souviens de m’être fait engueuler à cause de mon retard. Ni bonjour, ni merde, juste engueulé. Je n’ai pas passé le seuil. Je n’ai pas posé mon sac. Rien. Je n’ai pas accepté de subir une déferlante, une énième, celle de trop. Alors j’ai penché la tête, juste un peu, mon regard est devenu pierre et je me suis barré. Sans un mot.
Pour me refader plus de deux heures de trajet dans des trains de banlieue gris, avec un temps gris, une humeur grise, foncée, presque noire, des quais de gare délavés à marcher dans le froid et sous cette flotte à la con avec mes chaussures percées. Et je suis rentré au foyer. Il n’y avait personne. Pas bouffé ce soir-là. Juste des clopes à fumer. Je n’ai plus revu ma mère jusqu’à son décès quinze ans plus tard. Et j’avais le même regard, penché et dur. Et c’est seulement la veille de son décès, qu’elle m’a demandé du bout des lèvres, si je pouvais m’en sortir malgré la vie qu’elle m’avait fait vivre. C’est bien de se rendre compte d’un léger problème, maman, mais c’est un poil trop tard, maman. Alors, ai-je le choix ? Je passe depuis mes dix-sept ans, presque toujours les fêtes de fin d’année, seul. Je ne comprends pas l’intérêt d’être en meute. Je ne comprends pas cette célébration de la famille, je, ça me dépasse. Quand j’ai trois ronds, je me fais un peu plaisir, sinon, ce sont des jours comme les autres. Point.
