J’avais ce rêve étant gosse, voler
Jeune adolescent, je passais mon temps, les week-ends, lorsque nous allions en Normandie chez le mec de ma mère, soit à lire, soit à tirer à la carabine 22 long rifle. Parce que le mec de ma mère était un ancien militaire, assez con d’ailleurs. Mais ma mère n’a eu dans sa vie que des flics ou des anciens soldats. Ou presque. Et tous assez barges. Donc nous roulions en 504 bordeaux vers cette maison sans âme, perdue dans un champ à l’herbe toujours verte et mouillée, au bord des bois et où coulait une rivière.
Et la météo dictait mes activités. S’il ne faisait pas trop dégueulasse, j’avais le droit de faire des cartons toute la journée avec cette carabine. Instruction et consigne de sécurité minimales. Et je vidais mes cartouches. Pas de chargeur, pas d’automatisme, il fallait mettre la balle, la tirer, l’éjecter, remettre une balle. Et donc à chaque fois recommencer le processus de tir, viser, retenir sa respiration, tirer. Mine de rien, ça crève d’être aussi concentré.
Et s’il pleuvait, se retirer dans le grenier, vaste fourre-tout de matériels militaires et surtout de bouquins. Militaires, bien entendu. J’ai été bercé avec les récits de la Seconde Guerre mondiale, littéralement bercé. Alors quoi de plus naturel que de farfouiller parmi les livres poussiéreux relatant la campagne de Russie, celle du Pacifique, la guerre du désert, le débarquement, la bataille de Dunkerque, d’Angleterre. Avec l’histoire de l’escadron Red Tails, du régiment Normandie-Niemen, des chasseurs alpins, la bataille de la météo en Arctique et j’en oublie…
Avec l’idée tenace de refuser ma germanité, que si c’était à refaire, je serais naturellement un résistant. Pas forcément un héros, mais quitte à tomber, que ce soit au moins du bon côté. Ces lectures m’ont littéralement édifié, structurées pour les galères futures. Mais c’est aller trop vite que de dire ça, car au moment où je lisais tous ces livres, je rêvais d’être pilote de chasse embarquée. J’en rêvais tellement, que j’ai même passé les concours d’entrée, mais ma vision de myope, mon dos scoliosé et surtout mon niveau ridicule en math ont été rédhibitoires. Mon camarade de l’époque, à qui j’avais refilé le virus, a été l’un des premiers à voler sur Rafale. D’une certaine manière, mon rêve a été réalisé par procuration.
Je continuais à dessiner des avions de combat, et à maîtriser ainsi la perspective, le mouvement. Puis ce fut le design automobile, le design de façon plus large et pour finir la bédé. Rêve brisé. Il m’a fallu pas mal de temps pour reconnecter avec l’image, et ce fut par la photo bien des années après. Mais gamin, je voulais à tout prix être dans une carlingue, sentir la poussée des moteurs et enchaîner les manœuvres d’engagement. Il m’arrive encore de rêver à cela dans mon sommeil. Sourire banane au réveil assuré.
