Les demoiselles de la plage

vidéo et lecture d’image par sébastien calvet, alors photo-reporter à libération

Je n’ai eu un appareil photo que très tard finalement. Avant, je dessinais, mais ça, c’était avant. Un premier fut volé et j’ai perdu, avec ma vie chaotique, les négatifs. Je pense malgré tout, que ces clichés auraient manqué de maturité, de cohérence plutôt. Pourtant, j’ai déjà le souvenir de m’accrocher à plein de détails. Se passent des années avant que je n’en aie un autre entre les mains.

Des vacances, les premières si on peut dire, avec ma fille. Je ne roule pas sur l’or, alors autant dire que les vacances sont pour moi vraiment très rares. Mais là, c’est périple jusqu’au Mont-Saint-Michel, à l’Île de Jersey ! Ma grand-mère qui nous demandé si nous avions un appareil photo pour avoir des souvenirs, nous, non, on campe avec des tentes de récup, on fait chiche quoi, donc non, d’appareil photo il n’y a pas. On la voit partir, ma sœur et moi, dans son capharnaüm extrêmement bien rangé, aussi paradoxale que ça puisse être, et elle revient avec un appareil gagné grâce à des points de fidélité, tout en plastoque. On se regarde, merci mamy, et on part avec après avoir fini notre café.

Sur place, météo pourrie, tentes capricieuses, gamine qui râle et qui boude. L’incivilité des gens fera que ma fille et moi, on se ramassera des paquets de mer pleine gueule lors de la « croisière » jusqu’à l’Île de Jersey. Je l’appellerais ma Petite Pirate, ce qui la fera tout de même sourire, et lui ferait découvrir les Pogues, qu’elle adorera. Follement. L’appareil photo est pendant ce temps-là, complètement accaparé par ma sœur. Pourquoi pas, en l’état, je m’en fous comme de l’an quarante. Elle a ce côté directif et autoritaire très désagréable qu’ont les femmes de ma famille, je me contente de serrer les dents. Je n’en pense pas moins. Elle est juste super chiante. Et viens le moment où elle me tend l’appareil, pour que je les prenne toutes les deux sur la plage. Soit. Là, au débotté. Ok. Je cadre, mince, on les voit certes en plan américain, mais pas la plage. Je me recule, mince, les pieds sont coupés. Je me recule encore, mince, il y a un rocher qui est en premier plan. Je me déplace encore, en évitant une flaque, j’essaye d’avoir au moins un horizon droit et pendant ce temps-là, je me fais engueuler. Que je prends vraiment trop de temps pour une bête photo. Je déclenche, reviens, lui tends l’appareil, essaye de justifier, en vain. Elle ne m’écoute pas et continue de rouspéter. Je ne reverrai jamais cet appareil. Jamais.

Elle m’envoie les fichiers de ces vacances, d’une banalité sans nom, et une sort quand même du lot, celle que j’ai prise.

Deux, trois ans se passent, de sales blessures en entraînement font que je suis sédentaire pour un bon moment. Donc le volume de temps que je passais pour le triathlon devient du jour au lendemain des temps vides. Absolument vides. Je décide d’acheter enfin un appareil photo pour de prochaines vacances, j’ai cette ambition folle avec mes petits moyens, et je tombe sur un type, un passionné qui va m’expliquer le B-A BA de la photographie. C’est-à-dire que l’aspect technique qui déroute tant les novices, à raison d’ailleurs, il va me l’expliquer de façon simple, pédagogue. Et je commence alors une aventure complètement folle. D’abord, j’envoie quelques mois plus tard quelques photos à VosPhotos, un photo-blog participatif de Libération, elles sont retenues et publiées, comme un encouragement. Et j’envoie bien plus tard, en m’excusant du caractère sans intérêt certainement, cette petite photo, prise sur une plage, en me faisant pourrir par ma sœur rappelez-vous. Je pensais que ce n’était qu’une photo de peu, et rien de plus. Et là, je me suis fait engueuler par la journaliste, Marie-Dominique Arrighi, parce que cette photo, elle la trouvait vraiment, vraiment bien, et ça lui donne alors l’idée de demander à un des photo-reporters du journal, Sébastien Calvet, s’il veut bien se plier à une lecture d’image.

On peut dire que cette photo est un carrefour de ma vie.

Il se passe encore quelques années, je ne suis pas encore blessé lourdement, je ne suis pas encore devenu photographe. J’essaye à ce moment précis de comprendre ce qui fait image. Pour cela, j’ai rejoint un club photo, La Gourguillonnaise, je lis, énormément, je me donne des contraintes, viatique que je garde de cette journaliste partie trop tôt. J’intègre deux, trois ans plus tard la galerie Vrais Rêves en qualité de petite main, pour apprendre. Galerie où, sur l’invitation de son directeur, Rémy Mathieu, je suis une masterclass de deux ans. Je rencontre pendant ce temps-là, un type qui m’initie à ce truc à la mode, l’urbex. Là encore, je ne fais pas selon les règles, là encore, je prends le temps de penser en dehors de la boîte. Et je me rends compte, non sans surprise, que je commence à prendre mes photos aussi avec ce que j’ai en rayon, dans ma culture, là-haut, ce un peu foutraque. Et une idée saugrenue aussi. Partir à Tchernobyl, y prendre des photos. Si le projet n’aboutira pas, il me permettra de commencer une réflexion sur l’acte photographique dans un environnement aussi contraint. Rémy Mathieu me donne alors un exercice simple d’apparence, mais redoutable à réaliser. Prendre des photos de son chez-soi. Je m’y essaye, tâtonne, et reste perplexe quant à mes capacités à relever ce bien curieux défi.

Quelques années encore, une pandémie et un confinement ressortent du placard cet exercice que j’y avais penaudement remisé. Et à ce moment se convoque dans ma tête tout un tas de références, littéraires, cinématographiques, esthétiques, musicales et j’en passe. Mais vraiment. C’est surprenant et excitant. Je prends, au fur et à mesure, un vrai plaisir à faire mes clichés, à les développer, à en faire l’editing. Un jour, un photographe de la galerie, Willy del Zoppo, me demande ce que j’ai bien pu faire en photo, il est curieux le mec quoi, et surmontant cette foutue timidité, je finis par lui montrer quelques projets, dont celui-ci. Je le vois regarder mes photos, attentivement, aller, venir. Et tout à trac, il me dit « il faut que tu continues, c’est vraiment bien ». Deux ans se passent encore avant que je n’ose y revenir à ce travail. Entretemps, je suis devenu photographe parce qu’on m’a bombardé photographe au service des affaires culturelles de l’université Jean Moulin Lyon III, mais vraiment cette fois-ci, et je sais moi, que j’ai tout à apprendre. Et que, merde, ça fout une frousse du diable. Alors, j’ai repris mon appareil, et pendant mes vacances dans mon chez-moi, puisque c’est ainsi depuis si longtemps, j’ai à nouveau interrogé mon intérieur. Et j’aime bien. Le faire et ce que je fais. Et mon intérieur. Je ne vais pas révolutionner le monde de la photo, là n’est pas mon ambition, juste que j’y prends plaisir à faire mes photos de peu.