Le jour où Dominique A est mort

Pas de ça chez moi.
Le star-system.
Très tôt, une chose a percuté de plein fouet mon jeune esprit mal éduqué, mais déjà frondeur. C’est ce mantra punk : « Kill your television ! Kill your idols ! ». Je l’ai mis en place dans ma vie avec une attention scrupuleuse.
Oh ! Bien sûr, la mort de Kurt Cobain m’a séché sur place. Vous imaginez ça, vous ? Vous connaissez ce groupe au moins un an avant qu’il explose littéralement, vous l’écoutez tranquillou en boucle sur votre walkman, un beau jour vous rencontrez votre charmante voisine grâce à ce Nirvana qui envoie ses riffs nerveux et poisseux jusque dans son studio et… bref, je vous fais pas de dessin ; donc bref, du jour au lendemain ce groupe explose que même ces foutues radios généralistes le diffusent ad nauseam au point que vous n’écoutez plus rien d’eux, et un de ces putain de matins blêmes, vous apprenez qu’il s’est viandé sévère… Euh, gueule de bois d’office. C’est un édito des Inrocks qu’y m’a dessaoulé et c’est tant mieux. Franchement tant mieux.
Et Mark Sandman ? Quand il s’écroula lors d’un concert d’une crise cardiaque ? J’ai encore fait une sale gueule de trois pieds de long, livide, j’étais, mais… j’pouvais faire quoi moi, franchement ?! Aller à son enterrement ? J’imagine d’ici le tableau, moi planté comme un Travis Bickle dans la foule et serrant les louches de la famille éplorée.
Ridicule.
De même, lorsque je découvre la vie de tel ou tel artiste et que j’apprends la façon dont ils sont morts, on va dire que je n’aime pas, quelque chose de l’ordre de l’injuste quoi. Et le plus bel hommage entendu jusque-là, c’est cette longue litanie des artistes décédés de The House dans Endless art avec cette phrase sublime : « All dead yet still alive in endless time endless art ».
Vous avez déjà entendu un jour la longue litanie d’un prêtre pour rendre hommage aux morts ? Je ne suis pas croyant (ben, ça arrive), mais une fois dans ma vie, j’ai entendu égrener une longue liste de noms de défunts, des sans-abris… Ben, je peux vous dire que ça remue. Et de repenser à ce prédicateur, John Donne, qui en 1624 dans Devotions upon Emergent Occasions disait ceci :
« Nul Homme n’est une Isle complète en soy-mesme ; tout Homme est un morceau de Continent, une part du tout ; si une parcelle de terrain est emportée par la Mer l’Europe en est lésée, tout de même que s’il s’agissait d’un Promontoire, tout de même que s’il s’agissait du Manoir de tes amis ou du tien propre. La mort de tout homme me diminue, parce que je suis solidaire du Genre Humain. Ainsi donc, n’envoie jamais demander : pour qui sonne le glas ; il sonne pour toi. »
Et qui inspira donc le titre du roman d’Hemingway.
Mais, n’empêche, y a quand même un truc qui me chiffonne sec, c’est cette foutue putain de sacralisation à la con. Que ce soit pour un Jimi Hendrix ou pour un futur Johnny Halliday (Oh putain ! M’acheter un abri antiatomique ce jour-là !), les ficelles de mise sur piédestal seront les mêmes, peu ou prou. Me gave. C’est quoi cette époque où on a remplacé les églises et les dieux par des marques qui ne rêvent que d’une chose, devenir une nouvelle religion avec leurs fidèles adorateurs ? Les artistes sont devenus des produits d’appel. Et un bon produit qui rapporte, c’est un produit mort. Et ça me gave. Y a pas d’art là ! Y a juste des gus qui ne rêvent que d’une chose, vous faire le fond de vos poches. Point. En vous rendant con en prime.
Puis ces titres dans la presse aussi ! La scénariste d’E.T. est morte. Euh… Ouais… Et alors ?
Le gagnant de l’émission de téléréalité à la con de l’année machin a été retrouvé décédé. Mais je m’en contrefous ! Il a eu sa minute de gloire et il est décédé, c’est triste, mais est-ce que ça vaut vraiment un article ? Combien d’Aylan resteront anonymes et invisibles pendant ce temps ? Pignouf !
La presse est devenue une petite manufacture de petits dieux lares de pacotilles dont il faudrait connaître la vie et la mort de chaque représentant au risque d’être déconnecté de la vie sociale. Ils ont même le culot d’appeler ça de la culture générale !
Mais merde putain ! « Kill your television ! Kill your idols ! » Encore et toujours ! Et va relire ton Sophocle en attendant ! Ça t’édifiera un peu plus que tes Loanna ou autres Kévin !
Il y a des personnages issus du milieu artistique, ou des sportifs, même des politiques que d’une certaine manière je regrette, mais dont je sais porter en moi la marque, donc une forme de consolation quant à leur disparition, et, à la façon de Fahrenheit 451, ils m’ont permis de devenir un homme-livre, et presqu’un homme libre. Disons un peu plus libre… On mésestime les chaînes que l’on peut porter sans même s’en rendre compte, habitué qu’on est à leur poids sur notre vie…
Mais aujourd’hui, je vais avoir à nouveau une sale gueule avec l’envie de gerber d’impuissance et ce mantra punk pourra pour un temps se faire foutre.
Que vous dire sur lui ? Ses bruits de mastication lors de sa première radio, ce grand moment comme il le qualifia avec une pointe d’ironie moqueuse dans les yeux, ce grand bonhomme faussement dégingandé qui lors de ce concert collectif fit des blagues à ses potes de scène, insista pour m’offrir une bière pendant que je cherchais mon billet pour que, toujours sur son insistance, il y laisse un mot. Mot perdu d’ailleurs, je ne suis décidément pas bon pour les reliques, bordel.
Ses chansons m’accompagneront longtemps et j’espère avoir comme ses oiseaux le même courage dans le vent glacé…