Chapitre 2
Fertas Project
Ou l’oubli comme destinée
Dans une salle, elle s’affairait. Elle se demandait comment, avec les subventions qui avaient encore baissé, elle allait pouvoir faire fonctionner son musée. Elle éplucha pour la énième fois ses comptes, les derniers échanges avec ses autorités, et l’évidence était là : son musée était voué à mourir, la ville autour d’elle était vouée à mourir passivement. Elle avait été missionnée pour garder la mémoire des tout premiers Colons, leur formidable adaptation et ainsi permettre aux générations futures de pouvoir prendre exemple sur leur force de caractère exemplaire. Et en regardant ses chiffres, c’était tout le contraire qui était dessiné. Elle n’en revenait pas, blême, elle était blême d’une colère plus blanche que cette planète, si c’était possible.
Un drone en patrouille dans le secteur perçut la balise et changea de trajectoire pour foncer droit sur la source émettrice. Ses roues absorbaient les chaos de la route et le feulement aigu de ses moteurs électriques déchirait le silence poudré autour de lui. Il arriva à un cairn de pierres noires et à une lumière vive et écarlate qui clignotait dans ce paysage absolument immaculé. Son bras mécanique ramassa la tête par les cheveux et ne trouvant pas d’emplacement adéquat pour la ranger convenablement, la tint à bout de bras, comme Salomé. Il fit un demi-tour rapide et fonça sur la ville, le plus vite possible, avec toute la puissance qu’était capable de délivrer ses petits moteurs. Bientôt, dans une forme d’obscurité blanchâtre, les lumières de la cité apparurent et le petit drone fut bientôt à ses portes.
Elle était surexcitée ! Elle tenait dans ses mains la tête de ce soldat dont personne ne se souvenait exactement du nom, mais qui renfermait un savoir extraordinaire. Son équipe, avec d’infinies précautions lava la tête, la rasa et, une fois prête, elle la plaça dans cette étrange machine que le musée avait reçu peu de temps avant du gouvernement. Elle vérifia encore une fois précautionneusement le protocole avant d’enfin lancer la procédure. Il faudrait des heures, voire des jours avant de pouvoir extraire toutes les données contenues dans ce cerveau. Ils avaient de la chance, la maladie n’avait pas eu le temps de toucher cet organe si sensible, et la décapitation avait été chirurgicale, nette, permettant de travailler vite, avec précision. La machine, bientôt, commença à crépiter et à enregistrer toutes les données. Son musée allait pouvoir survivre avec une découverte pareille !
Dans une salle de commandement, une sergente s’approcha d’une opératrice et lui fournit les derniers réglages des capteurs d’alerte. Ces capteurs réagissaient à d’infimes variations, et couplés à l’intelligence artificielle des armées du Conglomérat, le système était capable de manière quasi-autonome, de lancer des attaques fulgurantes. Les chiffres firent tiquer l’opératrice tout juste sortie de son école militaire. Mais l’autorité avec laquelle sa cheffe lui intima l’ordre d’enregistrer ces réglages fit qu’elle n’osa rien dire, et, par simple subordination elle calibra avec les nouvelles données les différents capteurs de la planète ASIMOV-MCMLIII. Les nouvelles données mirent quelques heures à être ainsi rentrées, et encore quelques heures pour être pleinement opérationnelles.
Une fois toutes les données transmises, la sergente s’assura de la validité de toutes les opérations consignées par l’opératrice, fit encore quelques menus ajustements, ce qui lui prit encore quelques heures et beaucoup de café. Une fois fait, elle prit enfin sa pose et alla s’isoler dans un entrepôt pas très loin de là, à quelques minutes seulement de la salle de commandement. Elle se cacha dans l’ombre d’une étagère qui filait jusqu’au plafond, à plusieurs dizaines de mètres de hauteur et s’apprêtait à confirmer la réussite de sa mission à ses commanditaires quand un robot autonome obsolète, ne la détectant pas dans l’ombre, la percuta violemment. Sa mort fut instantanée. Son corps ne fut pas découvert de suite. C’est un agent de maintenance, un peu étonné des éclaboussures brunâtres recouvrant tout l’avant du robot qui donna l’alerte. Le robot fut déclassé immédiatement et parti à la casse. La sergente fut inhumée quelques jours après, avec tous les honneurs militaires.
Une variation dans l’atmosphère d’ASIMOV-MCMLIII ou un reflet des soleils dans les nuages, personne ne le sut jamais vraiment avec certitude, déclencha le tir automatique des missiles de défense mis en alerte maximale depuis quelques heures seulement. Le bâtiment spatial militaire du Conglomérat en orbite basse fut secoué par la salve d’une dizaine d’ogives à tête nucléaire. Les engins bombardèrent plusieurs sites préalablement définis comme étant des points hautement stratégiques. Toutes les villes furent rasées sans exception. Les explosions crépitèrent littéralement dans le ciel blanc. Une immense tempête de sable hautement radioactif balaya toute la planète, dévastant absolument tout sur son passage, et ce, pendant des jours et des jours. Une apocalypse blanche. Les éclairs dus aux orages nucléaires foudroyaient tous êtres vivants qui ne furent pas déjà mortellement irradiés.
Dans la salle de commande, les huiles essayaient de comprendre ce qui venait de se passer. Ils étaient en attente des données extraites au Musée des tribus quand l’inconcevable était arrivé. Ils voulaient ces données, que ces données, mais ne plus jamais investir dans cette planète perdue au milieu de nulle part et l’abandonner à son sort à tout jamais. Ils allaient enfin obtenir leur Graal, et ainsi réprimer les rebellions, ne plus perdre d’argent et, grâce à cette nouvelle arme, assoir encore plus leur domination. Et cette catastrophe qui écroulait tout leur château de cartes ! Que s’était-il donc passé ? Une enquête fut dépêchée dans les heures qui suivirent. Dans les semaines suivantes, il devint évidant qu’une erreur de calibrage des capteurs rendus par trop sensibles et une anomalie météorologique avaient provoqué le tir de défense. Il fallut des années pour déterminer la cause exacte de ce dysfonctionnement orchestré de main d’homme.
En effet, un groupe de généraux étaient prêts à tout pour éradiquer définitivement les tribus vivant sur cette minuscule planète, même si elles ne représentaient absolument aucun danger si ce n’était pour leurs égos froissés d’avoir reçu une véritable déculottée par ce qu’ils considéraient être des va-nu-pieds et leurs monstres de foire, ces ours de pierre, aussi dangereux que prodigieux. Aussi avaient-ils fomenté leur coup, patiemment, assurément. Mais là encore le monde changeait. Leur coup de force fut très mal perçu par les opinions des différentes communautés de systèmes solaires et souleva encore plus de peuples contre le Conglomérat qui rentra alors dans une des pires turbulences politiques, économiques et sociales de son existence. Les généraux renégats furent tous arrêtés et ils exécutèrent leur peine à l’endroit même de leur méfait, sur cette astre irrémédiablement détruit et stérile.
Des navettes de secours furent envoyées dès les premières accalmies orageuses à la recherche d’éventuels survivants, quel qu’ils fussent. Et ils furent très rares à réchapper à ce cataclysme. Une cinquantaine d’autochtones dormaient lors du bombardement dans les rares grottes de cette planète ; quelques Citoyens à la chance inouïe étaient en excursion dans le désert à ce moment-là et bivouaquaient, eux aussi, dans une grotte, et fait extraordinaire, un ours de pierre, complètement hagard. Ils furent, par décision unanime au Grand Parlement, protégés. Il fut déclaré interdit de se servir à toutes fins militaires ou civiles, des pouvoirs extraordinaires des ours de pierre. La planète martyre fut irrémédiablement désaxée et perdit son orbite. Dans quelques milliers d’années, elle serait carbonisée au contact trop proche d’un de ses soleils, mais avant cette fin funeste, elle devint une planète zombie où rien ne pouvait vivre et prospérer. Naturellement, elle acquit la réputation d’être la colonie pénitentiaire la plus dure du Conglomérat.
