Dirty old town

Je déteste aimer cette ville que j’adore détester. Elle me fait penser à une pièce de Gogol, avec ses petits-bourgeois pédants et pathétiques et trop fardés et trop rougeots. Trop, pas assez, je n’ai jamais réussi à déterminer avec exactitude ce qui faisait que la greffe n’a jamais vraiment pris. Je ne me sens pas être de cette ville que je trouve plate et insipide. Je la parcours pour mon quotidien, mais je n’y ai aucune racine. Étrange étranger que je suis, moi qui ne suis jamais resté aussi longtemps qu’à cet endroit, je ne demande désormais qu’à en repartir, écœuré, profondément. Mais je sais qu’il va me falloir du temps, malheureusement, pour pouvoir m’en retourner. Quand j’y suis arrivé, je n’avais qu’un sac à dos élimé d’avoir trop bourlingué, un chat et mes livres. C’est tout. Et une vie déjà bien esquintée derrière moi aussi. Je me suis installé ici en me disant que cette place en valait bien d’autres, qu’il était temps d’un peu de repos, d’enfin vivre un peu, que je saurais m’en contenter. Et tel ne fut pas le cas. Oh, c’est aussi de ma faute au fond, de n’avoir pas su faire un nid correct, bien que je l’ai tenté plusieurs fois, à chaque dégringolade le refaire, obstiné. Mais je sais désormais où est ma place, nulle part vraiment, toujours, toujours en marge, seul bien souvent. J’aime tellement ces marges qui m’ont fait entrevoir par un si mince interstice ce que la vie pouvait m’offrir de curiosités et que j’ai pris plaisir à explorer, jaloux, profondément jaloux de mes trésors. À dire vrai, peu de villes m’ont séduit avant. Soit trop sales et trop laides, soit trop proprettes, soit trop petites, soit trop grandes, soit trop excentrées, soit trop grouillantes, soit trop ensoleillées, soit trop pluvieuses, non, peu de villes m’ont tapé dans l’œil. Chez moi nulle part au fond. Et ici, pas non plus. J’ai des envies d’embruns, de plages de galets sombres sous la pluie fine en imaginant un drakkar à la noire silhouette surgir de la brume blanche pour accoster silencieusement. Et boire doucement un whisky d’ambre profond iodé et tourbé. Et c’est tout. Triste, peut-être, mais serein. Je ne suis pas d’ici, je trouverai ailleurs. Et je prendrai le temps qu’il faut, j’ai appris à être patient.