Différent, seulement différent

Il paraît que la pomme ne tombe jamais loin de l’arbre, aussi lorsque ma fille fut détectée haut potentiel intellectuel lors de sa scolarité, quelque chose s’est ouvert devant moi, d’abyssal. Qu’en est-il alors de mon propre fonctionnement, que cela implique-t-il ?

Il a fallu du temps pour à mon tour me faire détecter, et avoir à mon tour confirmation d’un haut quotient intellectuel. Et pas du tout où je le présumais, à savoir une très bonne visualisation de l’espace. Que j’ai effectivement, mais juste un poil supérieure à la moyenne. Non, mon « super pouvoir », c’est la compréhension verbale.

Ah.

Moi qui ai failli être analphabète, qui ai eu un mal fou à comprendre ce que je lisais, que j’ai toujours d’ailleurs et qui me commande de relire plusieurs fois un texte pour être certain du sens, et donc j’écrivais en retour comme je le pouvais. En jouant beaucoup, beaucoup avec les mots en provoquant un certain sentiment de malaise chez mes proches. Mais qu’est-ce qu’y dit donc ? Voilà en résumé le type de réaction que cela pouvait engendrer, pour faire simple. Décalage. Complet.

Le fonctionnement d’un haut quotient n’est en rien une intelligence supérieure, c’est juste un cerveau câblé différemment et qui part en arborescence, vite et dans tous les sens. Et la connerie suit exactement les mêmes canaux. Donc, concernant une prétendue intelligence supérieure, ça relativise très, très vite selon moi. Intellectuel défini plus le siège de la problématique en question, celui du cerveau, plutôt qu’une intelligence soi-disant supérieure.

Quelques années à essayer d’apprivoiser cette différence, d’en comprendre les ramifications dans mon quotidien et l’influence parfois malheureuse dans mon passé et mes interactions d’avec ma famille et mes proches. Qui ont toujours été très compliquées, avec des conséquences disons délétères, et parfois permanentes.

Mon quotidien, que ce soit dans ma sphère privée ou au travail, a toujours été compliqué. Récemment, au travail, grosse colère d’être relégué au rôle peu glorieux de simple exécutant, et encore, dans le meilleur des cas. Grosse colère qui a provoqué un changement de service, où cette fois-ci cette spécificité sera prise en compte dans mon quotidien. Enfin.

Mais je ne m’attendais pas à la deuxième couche de ripolin… Troubles du spectre autistique et de l’attention, auquel se rajoute un syndrome post-traumatique. Voilà, un nouvel éclairage et un nouveau gouffre abyssal qui s’ouvre devant moi. Qui expliquent énormément de choses. Leur donnent un relief très particulier. Sur beaucoup, beaucoup d’aspects de ma vie donc. Se pose la question d’un syndrome Asperger. Diagnostic en cours. Et même si ce n’est pas confirmé, la cour est déjà pleine.

Mon hyper sensibilité au bruit, mon incapacité à gérer différents stress, parfaitement normaux pour les autres, mais pas pour moi, ma gestion de la frustration compliquée, mon hyper vigilance et la fatigue que cela induit, ma curiosité qui part absolument dans tous les sens, ma capacité à investir au-delà du « raisonnable » certaines tâches, mes sautes d’humeur et mes difficultés aux interactions sociales dont je ne maîtrise pas bien les codes que d’aucuns qualifient hasardeusement de psychopathiques. Ces abus de langage de ce type sont profondément injustes – justesse et justice – et terriblement blessants. Putain, réfléchissez avant de l’ouvrir et d’établir ce genre de diagnostic à la volée, merde !

Bref, il s’agit maintenant de faire établir une reconnaissance en qualité de travailleur handicapé. Je ne sais pas ce qui est le plus troublant, sûrement le qualificatif d’« handicapé ». Je dois en avoir une acceptation incomplète, pour le moment j’ai quand même du mal à l’accepter, ce bazar. Je ne suis juste pas normo-pensant. Et j’ai donc de fait du mal à m’adapter à ce monde. C’est tout. Car la doxa commande aux individus de rentrer dans le moule et je n’y suis pas dans ce foutu moule, je n’y est jamais été, malgré mes efforts (on parle alors de faux-self). Et malheur alors aux gens différents. Malheur à eux, c’est la seule promesse qui leur est faite. Ce foutu besoin grégaire, ce foutu besoin de se rassurer aux dépens des autres. Ce foutu besoin de boucs-émissaires. J’ai lu un article dans la Revue Philosophique, de mémoire, qui expliquait ce mécanisme nécessaire pour faire société. Non sans violence. Chose que je confirme.

Pour faire face à cela psychiquement, le mensonge et la procrastination ont été des moyens de défense pendant très longtemps. Qui sont des mesures de protection et la marque d’un traumatisme plus qu’autre chose. Et qui empêtrent encore plus d’ailleurs le quotidien. Mais que faire d’autre sans visibilité et sans compréhension de cette problématique complexe ? Aussi, le fameux et simpliste « y-a-qu’a-faut-qu’on » m’est-il absolument insupportable. Si seulement. S’il ne s’agissait que de simple volonté, comme cela simplifierait ma vie ! Un claquement de doigts, et hop ! Fini ! Ben non. C’est con.

J’aimerais pouvoir dire à ma famille et aux autres combien ils se sont fourré le doigt dans l’œil, combien leurs jugements à mon endroit ont été faux. J’aimerais enfin trouver un havre de paix où je puisse enfin souffler. J’aimerais vivre sans que le regard des autres ne me soit un poids, voir une menace quant à ce que je suis. Je suis juste différent, et c’est tout. Rien de bien plus.

Il y a de la colère, de l’amertume pour le moment. Je n’en suis pas au point d’accepter ce truc avec sérénité, il y a eu trop de dégâts. Et je vais devoir encore passer des années à apprendre à faire avec. C’est en plus totalement illusoire de demander aux autres de prendre en compte cette différence. Ce qui est bien dommage, car je parie que tout le monde aurait à y gagner. Seulement, c’est d’ores et déjà impossible. Il va me falloir faire avec leur manque de compassion, d’acceptation. Et c’est juste usant.

J’ai du mal avec certaines émissions ou les magazines qui glorifient les hauts potentiels, qui ont pour injonction la recherche du bonheur comme un absolu dans une pensée happycratique décidément bien suspecte. La réalité est nettement plus rude : rares sont ceux qui sont soutenus, compris et accompagnés. On parle désormais de bienveillance et d’inclusivité, qui dans le quotidien reste de simples vœux pieux. Pour autant, je n’ai pas à m’excuser d’être ce que je suis, car ce n’est pas un choix, et combien même. Il ne dépend que de cette foutue bonne société que ça reste un fardeau pour des gens comme moi. Bien lourd à porter parfois, le fardeau.