Un rebord de fenêtre, un jardin, une rue
Un chat qui observe et des passants
Je viens tout juste de grimper sur le rebord de la fenêtre, encore au soleil à cette heure-ci, comme à mon habitude et commence soigneusement ma toilette. Je me lèche d’abord la patte que je mouille délicatement avant de me la passer sur le museau, les yeux et ensuite les oreilles. Patte que je lèche ensuite soigneusement avant de passer à l’autre. Mes épaules, mes flancs et mon ventre suivent dans le même ordre à chaque fois.
Le chant d’alerte du merle finit par m’agacer. De toute façon, je finirai par trouver son nid et ses oisillons grassouillets et braillards qui me feront un excellent repas, il ne perd rien pour attendre ce curaillon à bec jaune. Je le regarde en coin, les pupilles fines comme des lames. J’en oublie ma toilette, mais ce n’est pas grave, je me décide à observer attentivement ce volatile qui s’énerve tout seul, hochant de la queue sans arrêt.
Au loin une pie. Elle aussi s’époumone et volette autour de son arbre sans vraie raison. Les jeunes moineaux, en petite bande hardie passent le jardin scrupuleusement à la recherche de la moindre proie, du moindre insecte. Le nid du chardonneret élégant est trop haut dans la cime de l’arbre en face de ma maison, et c’est fort dommage. Mais le nid du merle qui lui a l’habitude de couver dans un des buissons est plus accessible. Petit sourire en coin alors que, de joie, mes yeux se ferment légèrement. J’en salive. Coup de langue sur la truffe. Je reste assis, attentif aux bruits et aux activités de la rue devant le petit bout de jardin bordé d’une haie pas très fournie et d’un muret, surmonté d’un grillage plus très jeune.
Les enfants sont sortis de l’école, il y a déjà un temps, je ne vais jamais sur ce rebord de fenêtre tant qu’ils ne se sont pas éloignés au bout de la rue. Trop bruyants, et je n’ai pas ce genre de patience, le coup de griffe partirait trop vite. Aussi, j’attends tranquillement qu’ils s’en viennent et qu’ils partent pour prendre alors mon poste de vigie. Viennent ensuite quelques passants trop préoccupés par toutes les choses qu’ils ont à transporter de ci, de là, soit dans un caddie comme mémé Jackie toujours plus cassée en deux, soit dans un sac à dos comme cet homme sans substance et qui à chaque fois me regarde avec son air morne et interrogatif. Fatigué surtout.
Je me surprends à l’apprécier, mais il ne m’est jamais venu à l’idée d’aller à sa rencontre et, dans un ronron, lui demander une caresse. Je crois d’ailleurs ne l’avoir jamais fait. D’autres chats du quartier sont friands de ce genre de démonstrations, comme s’ils espéraient quelques croquettes. De nature plus farouche, je suis plus en retrait, et préfère me concentrer sur les oiseaux et les souris, aptitudes qui apparemment fait son petit effet sur mes collègues un peu plus paresseux. Non, que je n’apprécie pas la pâtée, mais la chasse me fait tellement palpiter !
Donc, non, je ne suis jamais allé à la rencontre de cet homme terne, et le jour où je ne l’ai plus vu, ça m’a fait drôle. Je crois que s’il repassait de nouveau une de ces fins d’après-midi, j’irais cette fois-ci le voir.
