Compliqué

Je me suis essayé à l’autobiographie, et force est de constater que l’exercice est extrêmement violent. Pourtant, j’ai suivi les conseils de personnes bien intentionnées à mon endroit, seulement l’exercice est vraiment brutal.

Comment parler d’une enfance défoncée, d’une surdité qui a bien failli me croquer, des coups, de la malnutrition, des mois entiers à l’hôpital, de mes parents violents, alcooliques et dysfonctionnant ? De la galère derrière, de foyer en foyer, de mon passé de sdf, de mon refus de céder à la facilité en devenant à mon tour un petit voyou ? De me battre pour essayer de m’en sortir et de devoir, là encore maintenant, me défoncer pour éviter le pire ? De mon passé de sportif pour canaliser ma colère, de mes blessures, de ma gueule couturée ? Et je pourrais continuer, encore, encore… Penser à me faire démarabouter un de ces jours, tiens.

J’ai essayé de le dire en biographie donc, et putain de bordel de merde, je ne vous raconte pas la remontée d’égout que je me suis pris dans la gueule à chaque fois. C’est trop dur. Juste trop dur. Je ne le peux pas. Mais j’aime écrire et j’ai besoin de laisser filer cette foutue colère, alors, il y a un an, un an et demi, j’ai choisi de n’aller qu’à la fiction, mais en y « insérant » parfois de gros morceaux de ma réalité dedans. Ce qui rend d’ailleurs l’exercice de correction assez complexe émotionnellement parlant. C’est que c’est très intime parfois.

Aussi, mes personnages sont des anti-héros, et rien ne finit vraiment très bien pour eux. J’ai un regard très lucide sur le monde et les gens, certains diront très dur. Trop dur. Mais mes personnages sont moi, profondément. Ou des gens que je ne veux pas être et que j’ai côtoyé de beaucoup trop près. Le lien que j’ai avec eux est emprunt de rejet, de refus plein et entier, que je dégueule complètement, de toute mon âme. Si je les couche sur papier, c’est pour en faire précisément leur sale portrait et ne pas être ce qu’ils sont. Mais si c’était aussi facile que ça. Les tripes que je déverse, là, ce sont bien les miennes. Je suis aussi eux, je suis aussi ça. Et le constat est alors glaçant, sans appel. Seulement au milieu de tout ça – et je repense à un auteur en particulier, Tim Willocks dont l’œuvre est certes violente, mais sans la moindre concession de lui à lui-même – se dégage une droiture, une dignité dont je peux être fier. Je m’en sors plutôt bien au final. Cabossé, pas mal, mais ce pourrait être bien, bien pire ! Et, même si je ne comprends pas tout, et c’est ce que je décris finalement dans Lorelei, cette cécité aux choses, j’essaye. Opiniâtrement. Et je vais finir par crever en n’y arrivant peut-être pas, pathétique comme mon personnage principal, mais j’aurais essayé. Je me dois d’essayer ! C’est une obligation ! Je n’ai pas le choix !

J’ai en tête des auteurs qui sont des phares pour moi, Charles Buckowski, Hulbert Selby Jr., Cormac McCarthy en premier lieu. Et qui, quelque part, m’ont « autorisé » à dire ma souffrance et de taper dedans comme un sourd. Il n’est pas dit qu’un jour, je n’arriverai pas à écrire « une histoire qui se finisse bien » comme me l’a demandé une amie, mais là, je pense avoir besoin, maintenant, d’y aller sèchement, de cureter cette saloperie. L’expérience de la misère à l’âge de douze ans de Charles Dickens, l’a bien amené à être un ardent défenseur du droit des enfants pour le restant de sa vie. Donc, si ça se trouve, je vais en avoir pour un sérieux bout de temps avec cette merde… Ok, j’accepte la mission.