Chez ma voisine, on illumine, et franchement, à deux plombes du mat’, ça me bassine !

Hum ! Mais c’est quoi cette lumière ? Depuis un moment, déjà, quelque chose me dérange dans mon sommeil, à travers mes paupières, qui d’abord perturbe mon rêve et ça m’agace, je n’aime pas spécialement être dérangé dans mes rêves. Peut-être parce que j’en fais peu souvent, alors j’aime bien en profiter, c’est comme une séance au cinéma où je pourrais avoir comme une forme de contrôle sur l’histoire qui pourtant essayera de me surprendre, comme un jeu, une complicité. Je rêve donc rarement, mais j’apprécie beaucoup l’expérience, alors en être tiré parce qu’un vaisseau d’extra-terrestres tout phares allumés atterri au milieu du lac où je nage nu avec ma collègue de travail tout en vantant les mérites du nouveau tableur Excel, oui, on va dire que ça m’agace. Je rabats la couette sur moi, pour masquer cette lumière intrusive, pour tenter de me raccrocher à mes songes, à ma nudité à la fois sensuelle et sans ambiguïté, ou alors pleine de charme, mais je sais, au moment où je fais ce geste, que c’est malheureusement trop tard. Je m’assois dans mon lit, les paupières ensablées, que je frotte, et avec le gourdin. Mais quel gâchis, pestais-je, en tentant dans le même moment de comprendre la raison de ma contrariété. Et je ne comprends pas. La lumière chez Tatie Jacquotte est allumée. Pourquoi ? Je rassemble mes esprits, et à deux heures du matin, ce n’est pas évident. Elle a cassé sa pipe quand la Tatie ? Ce n’était pas à la fin de l’hiver ? Oui, c’est ça, il y a bien deux mois. Je devais être un des seuls à être présent à son enterrement, avec le maire et le curé. Une belle équipe qui a fini, curé compris, au bar du village pour évoquer sa mémoire à la Tatie, autour d’une cervoise, autrement dit une bière avec du vin blanc et du sirop de citron, pas trop, c’est juste pour le goût, pour le maire, d’une anisette bien tassée pour le curé, qui se resservira, plusieurs fois, d’un double calva pour moi, à 10 heures du matin. Personne ne l’appréciait la Tatie, personne ! Faut dire que pour remettre à leur place les uns et les autres, elle était assez fortiche, pas vraiment de langue de bois avec elle. Tout le monde dans le village en avait pris pour son grade, moi compris. Pourtant, elle n’était pas vraiment méchante, pète-sec, oui, mais pas méchante pour un rond. Aussi, lorsque je m’étais mis en tête de refaire le ciment de ma terrasse, m’avait-elle, d’elle-même, apporté de l’eau fraîche à mélanger un peu avec le pastis et quelques graines à croquer. Une fois, j’étais rentré chez elle. Son mari avait été mineur de fond, mort lors de l’effondrement des galeries en 1984. Une véritable tragédie qui lui avait ôté l’envie des circonvolutions hypocrites, faut dire que la Compagnie n’avait pas été à la hauteur du drame, et ça, la Tatie, ça lui était resté au travers de la gorge. Seul souvenir de ce mari trop tôt disparu, une lampe à huile sur la table du salon, seul élément de décor dans une habitation sans chichi, tout comme sa propriétaire. Je décide d’aller voir, de comprendre cet étrange. Je me casse la gueule sur l’aspirateur que j’avais oublié de ranger, et dans les escaliers par la même, peste et piaule ma douleur. Je me relève et fais les comptes des dégâts, faut dire que je ne me suis pas vraiment loupé. Vont bien se foutre de ma bobine les voisins et les collègues, bah alors, tu t’es battu avec ton chat et il a gagné ? Presque, mon aspirateur, ce qui ne manquera pas de les faire encore plus se gausser, ces mariolles. Allez leur faire comprendre que oui, un aspirateur à deux heures du mat’, je pfff… Perdu d’avance. Je chausse mes chaussons, mets ma liquette en pilou et m’en vais traverser les quelques cinquante mètres qui me sépare de la maison de la Tatie. Fait froid, merde, me dis-je, mais qu’est-ce que je fous dehors alors que je nageais peinard avec Solange au beau petit cul, aux petits seins blancs, menus, fine et au si beau visage encadré de ce carré noir qui lui va si bien. Non, je suis là, comme un crétin, les pieds mouillés par la rosée glaciale à tenter de comprendre ce que sont ces extra-terrestres à la noix à la fin qui m’ont tiré du lit à deux plombes, zut. Va être courte la nuit, râlais-je. Je m’approche de la fenêtre d’où irradie cette puissante lumière qui a quand même réussi à ma réveiller et je ne comprends pas ce que je vois : la pièce est totalement illuminée, les meubles, de misère apparaissent, nettement, là une chaise fatiguée, là un fauteuil un peu défoncé, le tapis élimé, la table avec au milieu la lampe. C’est elle qui inonde la pièce et les alentours, comme un petit soleil. À côté d’elle, qui fonctionne toute seule, avec ses tacs tacs et ses retours de charriot qui font kling !, une machine à écrire.